Embraer parie sur la chaîne critique
Le brésilien a appliqué la méthode de la chaîne critique dans son centre de maintenance du Bourget, réduisant de moitié le temps d’immobilisation de ses avions.
La maintenance des jets privés est une activité plus complexe qu’il n’y paraît. Le constructeur brésilien Embraer, qui s’est lancé dans l’aviation d’affaires en 2000, en a fait l’expérience. « Respecter les délais est un défi, sachant que l’on découvre toujours des tâches supplémentaires pendant le démontage, et que le client peut rajouter des travaux à tout moment », avertit Sébastien Albouy, le directeur du centre de maintenance européen d’Embraer au Bourget (Seine-Saint-Denis). Créé en 2008, ce centre a vu son activité multipliée par trois en cinq ans. En 2013, ses 65 salariés sont sous pression. Sébastien Albouy choisit d’appliquer la méthode lean manufacturing sur la « check 96 mois » (la grande révision après quatre-vingt-seize mois d’utilisation) des appareils Legacy 600 et 650. « Nous avons gagné en performance, mais les résultats étaient peu réplicables car il y a toujours au moins 20 % d’opérations spécifiques sur ces avions », indique-t-il. Ce dont Embraer a besoin, c’est d’un système de management capable de gérer les aléas. Quand il découvre la chaîne critique, une méthode de planification et de gestion de projet inspirée de la théorie des contraintes, Sébastien Albouy décide de se lancer. Ses équipes et lui reçoivent une formation à la méthode fin 2014, puis commencent à l’appliquer en juin 2015.
Cette méthode comporte deux principes de base. Le premier consiste à séparer pour chaque tâche le temps effectif et la marge de sécurité. « D’ordinaire, chaque acteur introduit des temps de protection sur chaque tâche, car il ne veut pas être pris en défaut, développe Philip Marris, le directeur général du cabinet Marris Consulting. Avec la chaîne critique, on calcule le planning à partir des temps bruts, sans variabilité, et toutes les marges de sécurité sont cumulées à la fin du planning. » Ainsi, chaque heure gagnée en tâche A pourra servir à couvrir un aléa rencontré en tâche C ou D, ce qui n’est pas possible dans une gestion de projet classique où les travaux peuvent prendre du retard mais jamais d’avance. Pour adopter plus facilement cette nouvelle philosophie, la direction d’Embraer choisit d’installer un logiciel de gestion des plannings utilisant le principe de la chaîne critique. « Nous savons en permanence où nous en sommes dans le projet et combien de marge de sécurité nous avons consommée, explique Sébastien Albouy. C’est très visuel car le logiciel utilise trois couleurs : vert, l’avion sera fini en avance ; orange, il sera dans les temps ; rouge, l’avion risque d’être rendu en retard. » En effet, l’intérêt de la chaîne critique n’est pas de constater un retard mais d’anticiper : si un projet est dans le rouge, il est encore temps d’agir. Pour les managers, cela change tout. « On ne se base plus sur des sentiments de priorité, mais sur des priorités réelles, on retrouve un vrai rôle de décision », lance le dirigeant.
Se concentrer sur une tâche
Le deuxième principe de la chaîne critique consiste à éliminer le travail multitâche. « Si on alterne plusieurs tâches, cela génère forcément un retard, et lorsque plusieurs personnes travaillent alternativement sur une tâche, cela peut poser des problèmes de qualité », commente Philip Marris. Embraer a aussi défini un nombre minimum et maximum de techniciens par avion. « Avant, nous répartissions les techniciens sur tous les avions, le problème c’est que l’on sait quand on commence les tâches mais pas quand on les finit, note Fernando Bertrand, le responsable de la planification sur le site du Bourget. Nous avons compris qu’il valait mieux affecter plus de techniciens sur une même tâche, car on finit la tâche au plus vite et on se protège des futurs aléas. » En novembre 2015, six mois après le début du projet, Embraer avait déjà réduit de 45 % les temps de révision de ses Legacy 600 et 650. Depuis, l’avionneur applique la chaîne critique sur les révisions « 96 mois » de tous ses appareils, et a réorganisé ses stocks pour coller avec ces temps d’intervention réduits. Aujourd’hui, la chaîne critique est en passe d’être déployée dans ses filiales brésiliennes et américaines.